101.
L’an 1688.
France.
Paris.
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux naquit quinze ans après la mort de Molière. Ayant suivi des études de droit, il devint journaliste au Nouveau Mercure puis au Spectateur français. Il épousa une fille de notable, dont la dot lui permit d’accéder rapidement à la fortune. Il fréquenta dès lors les riches salons parisiens et ambitionnait de devenir auteur de théâtre.
Cependant, l’année 1720 lui fut fatale. Tout d’abord sa fortune disparut dans la faillite de la banque Law. Puis la première pièce qu’il avait écrite, Annibal, subit un cuisant échec. La même année sa femme mourut.
Un homme vint alors frapper à sa porte. Il lui dit que sa pièce était très subtile par son analyse psychologique et qu’il devrait mettre son talent au service de la comédie plutôt que de la tragédie.
L’homme l’invita à voir la Commedia dell’arte et à fréquenter les théâtres qui jouaient encore les pièces de Molière. Mais Marivaux expliqua à cet étrange visiteur que son ambition était d’entrer à l’Académie française et que, pour cela, il devait écrire dans le seul registre sérieux : la tragédie.
L’homme lui proposa alors de découvrir le théâtre comique et de ne pas considérer trop rapidement qu’« être populaire signifie être médiocre ».
— « Il est plus facile de faire pleurer que de faire rire », énonça cet homme mystérieux.
La phrase résonna dans l’esprit de Marivaux.
— « Et il est plus facile, continua l’homme, de plaire aux critiques que de plaire au grand public. »
À nouveau la phrase le surprit et l’amusa.
— Le peuple est finalement bien meilleur juge que les emperruqués prétentieux autoproclamés aristocrates de l’esprit. Eux ne sont épris que de modes éphémères, qu’ils instrumentalisent pour se donner de l’importance. Le temps est le meilleur révélateur de cette évidence.
— Qui êtes-vous donc ? demanda Marivaux.
— Un homme venu vous révéler votre vrai talent.
— Non, vous ne dites pas tout. Je le sens.
— Eh bien, disons que je fais partie d’un groupe d’hommes attentifs.
— Un groupe d’hommes ?
— Nous sommes une société secrète dont l’une des fonctions consiste, par exemple, à aider les auteurs de qualité à ne pas se fourvoyer dans le tragique, alors qu’ils pourraient exceller dans le comique.
— Mais quel intérêt de faire… rire les gens ? C’est ridicule.
— Faire rire permet de faire mémoriser, répondit l’homme. Le comique possède un pouvoir d’imprégnation et d’éducation des foules plus important que le tragique. Le propos qui fait rire est répété, il porte loin et longtemps. En déclenchant le rire vous pourrez faire beaucoup pour améliorer les comportements de vos contemporains. Comme dit l’adage latin : Castigat ridendo mores, « Corriger les mœurs par le rire ».
Dès lors, intrigué par ce visiteur mystérieux et sa société secrète censée aider les auteurs à ne pas se fourvoyer dans les tragédies élitistes, Marivaux s’essaya à une première pièce comique : Arlequin poli par l’amour. Elle connut un petit succès, suffisant pour lui permettre de continuer. Ainsi suivrait Le Jeu de l’amour et du hasard.
Marivaux cependant ne voulait pas rester dans un théâtre trop simpliste, il voulait défendre des valeurs philosophiques. Il écrivit des œuvres utopistes, L’Île des esclaves puis La Nouvelle Colonie, dans les années qui suivirent. Dans ces pièces, Marivaux voulait démontrer que même si on tentait d’enfermer la réalité dans des cadres rigides, des rituels anciens, des institutions archaïques, la nature humaine était plus forte que tout et finissait par avoir le dessus.
Marivaux écrivit plus d’une trentaine de pièces, dont La Double Inconstance et Les Fausses Confidences. Il n’obtint jamais la reconnaissance du milieu intellectuel, mais restait présent dans le paysage théâtral populaire parisien.
Son grand ennemi de l’époque était Voltaire, qui convoitait la même place à l’Académie française. Les deux hommes se détestaient. Voltaire trouvait que son concurrent était superficiel, son théâtre trop léger. Marivaux jugeait Voltaire sentencieux et donneur de leçons.
Ce fut Marivaux qui, après une course d’influence à l’arraché, obtint la place de titulaire de l’Académie française en 1743.
Rejeté par les critiques et l’intelligentsia parisienne en dépit de sa place à l’Académie française, il aura de plus en plus de difficulté à monter ses pièces, malgré son succès populaire. Son talent ne sera jamais vraiment reconnu de son vivant, et il mourra dans la pauvreté, mais soutenu par des amis secrets.
Ce ne sera qu’un siècle plus tard que Sainte-Beuve, redécouvrant son œuvre, le fera à nouveau jouer.
Cette fois le public et les critiques seront unanimement enthousiastes. Et Marivaux deviendra le deuxième auteur comique le plus joué en France… après Molière.
Grand Livre d’Histoire de l’Humour. Source GLH.